Juste s'asseoir

récit d'une session de méditation au travers l'expérience d'une retraire dans la tradition zen.

6h00 – bruit de froissement de robe et de pas sur le plancher.
Je suis assis sur mon zafu face au mur, les cheveux en pétard et la tête encore dans le gaz. Le zazen du matin c’est pour moi le plus dur. Mon corps n’est pas encore tout à fait réveillé. Je me mets en position du lotus tant bien que mal pour avoir une bonne stabilité, la main gauche dans la main droite posée sur les cuisses. Les pouces se rejoignent avec un léger contact. Je pose une présence tranquille sur ce corps qui aimerait bien retourner sous la couette. Je fais attention à ce que ma colonne vertébrale soit bien droite, en poussant le ciel avec le sommet du crane et en rentrant légèrement le menton. A chaque respiration je vérifie que mes épaules, les muscles autour de la colonne, mes bras soient sans tension tout en gardant la colonne droite. Je détends les muscles de mes cuisses. Je suis vigilant à garder un contact léger entre les deux pouces. Je sens l’air frais qui rentre et qui sort par mes narines. J’expire tranquillement, doucement sans bruit, mes poumons se vident et mon abdomen se dégonfle. A la fin de mon expiration, j’inspire naturellement sans aucun effort. Voilà, je suis juste assis simplement, je continue à garder une présence tranquille sur mon corps et sur ma respiration. Mon corps est assis et mon esprit est tout entier assis avec ce corps, je fais l’effort de rester assis dans ce corps.

Le ventre de mon voisin gargouille, je me dis qu’il doit avoir faim, j’aimerai bien prendre un petit café avec des croissants, un bon jus d’orange pressé, et deux tartines de confiture; tiens d'ailleurs il va falloir que je rachète de la confiture et un bon rôti pour faire un petit repas avec mes amis le weekend prochain... « oh, Sylvain reviens ! » je m’aperçois que mon esprit était déjà parti déjeuner sans moi, alors je reviens simplement à ma posture et à ma respiration... ... ... petit à petit mon esprit se calme, ma respiration devient plus lente et plus profonde, mon besoin d’inspirer se fait moins pressant.
Le ventre de mon voisin gargouille, je vois la pensée d’un bon café, d’un jus d’orange passer dans mon champ de conscience, je ne la suis pas, je n’essaye pas de l’arrêter non plus, elle disparaît d’elle même. Je voie l’envie, l’espoir que la cloche sonne pour que nous puissions étendre les jambes et aller manger, je vois la douleur du genou qui commence à poindre son nez, je les vois naître, passer et disparaître.
J’entends le silence du dojo au travers les chants d’oiseaux qui se réveillent, je sens le soleil qui se lève et qui vient me réchauffer le dos, Je suis assis là, j'accueille tout ce qui vient je ne refuse rien et je ne poursuis rien. Je suis juste présent au joyeux bordel de la vie, présent à la réalité sans y apporter le moindre jugement. Et si mon esprit vient à suivre le flot des pensées discursives, dès que je m'en aperçois , je reviens à la posture, je reviens simplement m’assoir dans la réalité de l’ici et maintenant.

Ding ! ... Ding !

La cloche sonne. On salue les mains jointes. Je me lève, pour faire Kinhin, la méditation marchée. Le menton rentré, la colonne bien droite comme en zazen, J’avance au rythme de ma respiration. j'inspire et je lève le pied, j’expire et je pose le pied. Ma respiration est en harmonie avec chacun de mes pas. Mon esprit est présent à ce qui se passe. J’observe mentalement le contact de mon pied sur le sol froid du dojo, le déroulement du pied, les points d'appuis. Je vois là aussi la pensée de plaisir de pouvoir étendre les jambes après être resté assis trois quarts d’heure. Nous continuons tous à marcher lentement ainsi autour du dojo, présent à notre action de marcher, pendant dix minutes.
Ding ! Ding ! la cloche sonne à nouveau. Nous retournons nous asseoir sur notre zafu. Froissement de robe.

Ding ! Ding ! Ding! la cloche sonne pour marquer le début du deuxième Zazen.
Je repose mon attention sur mon corps et sur ma respiration, j’inspire, j’expire, j’inspire j’expire. Mes yeux sont lourds, je sens la torpeur m’envahir, je pique du nez plusieurs fois. C’est dur de résister au sommeil... que c’est bon de se laisser aller dans les bras de Morphée. J’abandonne, j’accepte ce que je suis sur l’instant, je ferme les yeux, je m’abandonne à la rêverie, je fais le somme du cowboy discrètement pour ne pas déranger les autres.

Dire qu’il y en a qui pensent que la méditation c’est cool, tranquille et relaxant. On voit bien qu’ils n’ont jamais fait une retraire ! Ce n'est pas si zen que ça... J’en ai vu certains pleurer, d’autres abandonner en plein milieu. Ce n’est pas toujours facile de se retrouver dans le silence face à face avec soi même.
La méditation ce n’est pas un truc de relaxation, ça ne permet pas de s’envoler dans une bulle de joie et de s’échapper quelques temps de nos problèmes. Bien au contraire. On est bien ancré sur terre, présent à la réalité tel quelle est, on ne se réfugie pas derrière nos petites illusions. En laissant l’esprit au repos, On voit les choses telles qu'elles sont. Comme dirait Maitre Deshimaru « le zen ce n’est pas du Gâteau ». Si certains pensent qu’en méditant ils vont voir la vierge et baigner dans une lumière de béatitude dégoulinante d’amour, je pense qu’ils vont être très déçus.
Oui je sais ce n’est pas un tableau super attractif que je fais de la méditation. Mais dans certains livres commerciaux on vous présente une pratique merveilleuse accolée au mot « bien-être », « joie » et « paix ». C’est effectivement une pratique merveilleuse, on en retire forcement des bienfaits, conscients ou inconscients, mais pour en arriver là il faut comprendre que la méditation c’est aussi une discipline, cela demande un effort, un esprit de répétition, de la persévérance et de la patience. Ce n’est pas facile, oui aussi paradoxale que cela puisse paraître, simplement s’assoir ce n’est pas si simple. Ce n’est pas comme dans les livres... Rapidement on se rend très vite compte que le corps, la respiration et le mental peuvent être source de confusion et de difficultés en tout genre. On se sent tordu, on a mal aux genoux, la respiration est hachée le mental constamment en mouvement, on se demande ce que l’on fait là. Il faut un peu de temps et une pratique régulière pour commencer à sentir la stabilité mentale et physique. Au fur et à mesure de la pratique les perturbations du mental vont se calmer, la respiration se fera plus profonde et le corps sera plus stable, on a moins envie de bouger. Mais un esprit calme n’est pas la finalité de la méditation bouddhiste, c’est juste la porte d’entrée...

Ding, Ding, Ding...

La cloche me réveille. Je m’en veux de ne pas avoir bien médité. Mais ce n’est pas grave, les instants s'enchainent, je me lève, nous refaisons la méditation marchée pendant 10 minutes. La main droite enveloppe la main gauche sur le plexus solaire Je fais l’effort de revenir à mon corps, à la présence dans chacun de mes pas. Pour m’aider j’harmonise ma respiration à mon pas. Voilà je suis là.

Ding, Ding,...

Froissement de robes.

Ding Ding, ding

Je m’assois, jambes croisées en demi-lotus, main gauche dans main droite avec un léger contact entre les 2 pouces. La colonne vertébrale tendue je pousse le ciel avec la tête, je tends la nuque en rentrant le menton, je sens le contact frais de mes pouces. Je fais l’effort d’être constamment présent à la posture et à la respiration. L’air qui rentre, l’air qui sort, l’air qui descend sous le nombril. Je suis présent au gargouillis de mon voisin, je suis présent a la sensation de chaleur agréable dans mon dos, je suis présent à la douleur de mon genou, je suis présent aux pensées de café croissant, je ne les suis pas et je ne les arrête pas. J’accepte tout et ne garde rien. Le flux des pensées s'apaise, tout s'apaise, Je suis juste là présent, vivant.


Ding !, Ding !

Je salue et je me réjouis de me dégourdir les jambes et d’aller manger.

Voilà, en résumé la méditation ce n'est rien d'exceptionnel, Vous ne verrez pas bouddha vous parler dans une douce lumière et paisible, vous n'allez pas vous envoler dans d'autres sphères. Ce n'est pas non plus une méthode particulière. C'est juste s'asseoir en étant présent dans l'ici et maintenant. Ce n'est pas un exercice de concentration, c'est plus un état d'attention de présence tranquille à chaque instant dans lequel on accueille tout ce qui vient et dans lequel on ne cherche pas à saisir quelque chose.
On ne dirige pas le mental comme on peut dans certaine méditation ou dans le qigong, pour suggérer un état de bien être. Non, on le laisse comme il est, on ne fait rien de particulier sinon que de rester présent dans l'instant. On s'assoit, sans chercher autre chose que de s'asseoir totalement en corps et en esprit et c'est tout.